Entrepreneurs...hé bien bricolez maintenant !

Maintenant que vous avez fait un beau plan d'affaires qui prouve par A + B que votre marché est porteur (ce dont vous n'êtes pas du tout sûr), que votre produit est exceptionnel (d'après vos amis) et que le "cash" coulera à "flow" dès la première année (vive l'astrologie)...comment faire ? Tout à coup, vous êtes pris d'un doute...
...le plan d'affaires peut rassurer votre banquier, prouver votre sérieux (oui, vous savez écrire et compter) ; il vous a obligé à cumuler une masse d'informations et à la structurer, à affûter vos arguments, vous a également donné l'occasion de créer un embryon de réseau relationnel autour de votre projet...

Mais vous avez bien envie de l'enfermer au fond du placard pour l'oublier et vous lancer, en oubliant les belles projections qui vous ont poussé à formuler un projet qui "présente" bien et qui dépasse peut-être vos aspirations.




Et bien, il est temps de quitter votre costume de super héros 
pour retrouver le confort de votre vieux jean de bricoleur, 
le plaisir de bidouiller dans le fatras de votre atelier 
et de laisser s'exprimer votre créativité pour redonner vie à de vieux débris !





En effet, les études scientifiques sur le mode de fonctionnement des entrepreneurs dits "experts", c'est-à-dire ayant créé de très grosses entreprises, ou de nombreuses entreprises, montrent que, face à une situation donnée, ils auront tendance plus que d'autres à recourir au "bricolage".


Ce concept a été repris de Levi Strauss, dans l’introduction de la Pensée Sauvage :

« Le bricoleur est celui qui utilise des moyens détournés, obliques, par opposition à l’homme de l’art, au spécialiste. Le travail du bricoleur, à la différence de celui de l’ingénieur, se déploie dans un univers clos, même s’il est diversifié. La règle est de faire avec les moyens du bord. Le résultat est contingent, il n’y a pas de projet précis, mais des idées-force : “ça peut toujours servir, ça peut fonctionner”. Les éléments utilisés n’ont pas un emploi fixe, encore moins prédéterminé : ils sont ce qu’ils sont, à cet instant-là, tel qu’il est perçu, désiré, en  relation avec d’autres éléments, opérateur d’une opération particulière ».
Lévi Strauss étudiait la façon dont les tribus néolithiques ont adopté les symboles des tribus voisines et antérieures mais en les combinant de manière différente. Dans la même démarche, des chercheurs en entrepreneuriat, Baker et Nelson (2005), dans un article intitulé "Creating Something from Nothing : Resource Construction through Entrepreneurial Bricolage" s’interrogent sur la capacité de nombre d’entrepreneurs à créer des entreprises avec des ressources très limitées (une personne, peu de moyens financiers, des difficultés à attirer des ressources spécifiques). Comment font-ils pour créer à partir de rien ?

Ils proposent au départ la définition suivante, synthèse des différentes approches multidisciplinaires qui identifient les effets positifs, neutres ou négatifs du bricolage : « un savoir-faire (a «making do » ) dans la combinaison de ressources disponibles à portée de main à de nouveaux problèmes et opportunités » (traduction personnelle). 

Le "bricoleur" se distingue ainsi de "l'ingénieur" : il possède tout un éventail d’artefacts physiques, de compétences ou d’idées accumulées "au cas où" tandis que l’ingénieur possède des ressources acquises en réponse à une demande bien définie.

A partir de l’étude de 29 entreprises agissant dans environnement restreint en ressources concernant l’analyse de la façon dont elles ont combiné des éléments physiques, sociaux ou institutionnels ignorés ou rejetés par les autres entreprises, ils ont découvert que c’est la présence simultanée des 3 éléments suivants de la définition qui permet de créer un mécanisme puissant de création de nouveaux services à partir d’inputs communs :


  • Un refus conscient de prendre acte des limitations communément admises,
  • La combinaison des ressources pour d’autres buts, 
  • L’utilisation de ressources « à portée de main » : celles qui sont disponibles très peu cher ou gratuitement, souvent parce que les autres entreprises les jugent inutiles.
Ces entreprises étaient situées dans une région minière en déclin et pourtant elles sont parvenues à rester indépendantes contrairement aux autres qui disparaissaient ou étaient rachetées. Certaines entreprises instituent ce mode de fonctionnement comme faisant partie de leur identité, d'autres font du bricolage en parallèle sur des activités annexes, d'autres bricolent puis rejettent ce mode de fonctionnement.

Le bricolage est typiquement apparu comme impliquant une méfiance générale envers les pratiques existantes et les normes et une volonté consciente de les abroger.

Le "bricolage" peut consister à redonner de la valeur à des matériaux oubliés, mis au rebut, ou à usage unique (donc de valeur nulle, voire négative) grâce à une utilisation nouvelle, à impliquer les clients, fournisseurs dans le travail fourni, à permettre et encourager l’utilisation de compétences d’amateurs ou d’autodidactes qui n’auraient pas été mobilisées...

Finalement, si vous avez envie de créer une entreprise mais pas d'idée, ne vous inquiétez pas, l'important est l'intention que vous mettez dans votre projet, la curiosité et l'ouverture d'esprit : il y a alors toutes les chances pour que les choses s'assemblent d'elles mêmes !






Baker, T., Nelson R.E. (2005), Creating Something from Nothing : Resource Construction through Entrepreneurial Bricolage, Administrative Science Quaterly, 50, 329 : 366