*Engagez-vous qu'ils disaient...

L'escalade de l'engagement (escalation commitment) décrit la tendance que manifestent les personnes, et en particulier les entrepreneurs, à persévérer, d’une façon excessive, dans une décision ou dans des actions, en dépit d’un retour d’information négatif et de l’existence  d’incertitudes sur la réussite attendue.

Pour les courageux, voici une traduction personnelle du résumé d'un article de recherche de Mc Carthy,Schoorman et Cooper en 1993 : “Reinvestment Decisions by Entrepreneurs: Rational Decision-Making or Escalation of Commitment ?” (les décisions de réinvestissement par les entrepreneurs : prise de décision rationnelle ou escalade de l'engagement ?) dans la revue Journal of Business Venturing, 8(1), pp. 9-24.

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"Parmi les décisions les plus importantes que prennent les entrepreneurs se trouvent celles qui concernent la question de croître, maintenir ou réduire leur affaire. On s’attendrait à ce que ces engagements majeurs soient basés sur des performances prévisionnelles. Ces prévisions, à leur tour, seraient lourdement influencées par la performance actuelle. Ainsi, nous pourrions présumer que les entreprises qui ont reçu des retours favorables du marché seraient plus susceptibles de se développer tandis que celles qui ont reçu des feedbacks négatifs seraient plus susceptibles de réduire leur taille. 
 Des recherches en cours sur la prise de décision suggèrent que des processus psychologiques pourraient jouer un rôle en influençant ces décisions. Sous certaines conditions les entrepreneurs pourraient être influencés par un phénomène appelé « l’escalade de l’engagement ». Ceci pourrait conduire les entrepreneurs à décider de développer les actifs de leur entreprise sans prendre en compte les signaux du marché.
La littérature sur l’escalade de l’engagement suggère que, sous certaines conditions, les décideurs qui prennent une première décision renforcent exagérément ce choix initial et prennent alors des décisions biaisées. Les recherches précédentes (dont la plupart ont été menées en laboratoires) suggèrent que l’escalade de l’engagement est plus susceptible de se produire :
1.     Si les entrepreneurs ont créé leur entreprise (plutôt que achetée)
2.     S’ils ont des partenaires
3.     Si les entrepreneurs s’attendent à mobiliser leur compétences dans la nouvelle entreprise
4.     Si les entrepreneurs sont exagérément sûrs d’eux (c’est-à-dire qu’ils sont certains de faire substantiellement mieux que les autres dans les mêmes types d’entreprises.
Il est également attendu que ces facteurs prédicteurs de l’escalade de l’engagement auront une influence relative plus forte quand les signaux du marché sont négatifs que lorsqu’ils sont positifs ; les signaux négatifs semblent induire un processus d’autojustification. L’hypothèse est également posée que l’influence de ces prédicteurs sera moins forte dans la troisième année d’une entreprise que dans la deuxième année. Finalement il est attendu que ces influences psychologiques vont aider à fournir une explication systématique des décisions de réinvestissement supérieures ou inférieures à ce que l’on pourrait prédire sur la base d’indicateurs financiers.
 Ces hypothèses ont été testées sur des données issues d’une étude longitudinale impliquant 1112 entreprises. Il a été trouvé que les entrepreneurs qui avaient lancé leur entreprise et ceux qui avaient exprimé une confiance plus élevée étaient significativement plus susceptibles de prendre une décision de croissance. Les hypothèses que ceux qui avaient des partenaires et ceux qui s’attendaient à utiliser leurs compétences seraient plus susceptibles de se développer n’ont pas été confirmées. (…)
Les décisions de développer ou de réduire une activité ne sont pas nécessairement bonnes ou mauvaises. Cependant il est important que les entrepreneurs soient conscients des facteurs qui influencent leurs décisions. Ils devraient reconnaître que la tendance au biais de l’escalade de l’engagement peut arriver. La recherche d'opinions indépendantes auprès de conseillers qui ne ressentent pas autant de responsabilité personnelle (...) pourrait conduire à une évaluation des alternatives plus objective.
Les conseillers devraient également réaliser que leur inclination à l’escalade de l’engagement existe et quelle est naturelle. Ils devraient être capables de se préserver de la tendance à être emporté par l’enthousiasme et l’escalade de l’engagement des entrepreneurs. Les entrepreneurs et leurs conseillers (ainsi que les chercheurs) devraient reconnaître que les décisions entrepreneuriales importantes sont souvent influencées par des facteurs psychologiques aussi bien qu’économiques. Cette prise de conscience devrait permettre les entrepreneurs de prendre des décisions plus rationnelles."
Et en plus simple ? Cette étude à grande échelle sur des entreprises américaines a confirmé que les décisions stratégiques de croissance ou de décroissance prises par les entrepreneurs sont loin d'être liées à des analyses rationnelles. Il existe un phénomène qui peut pousser un individu à s'entêter à poursuivre ses investissements sur un projet alors qu'il a des retours négatifs : comme il se sent responsable du lancement du projet, il va justifier a posteri cet engagement initial en se convainquant que les indicateurs sont négatifs parce qu'il n'a pas suffisamment investi sur ce projet : "engagez-vous, rengagez-vous qu'ils disaient"...
Cet article étudie donc quels indicateurs influencent le plus ce phénomène. Il présente l'intérêt de se baser sur une étude à grande échelle sur des entreprises alors que la plupart des autres études étaient auparavant fondées sur des simulations.


L'escalade de l'engagement est un phénomène observé à l'échelle individuelle mais également d'un groupe ou d'une organisation. 


Les recherches ont montré que 4 principaux facteurs interviennent :
1. les sentiments de responsabilité concernant la décision intiale, arrêter serait comme revenir sr cette décision
2. l’effort impliqué par cette prise de décision : prendre des décisions implique un travail cognitif important et la plupart des gens reculent devant la perspective de le recommencer
3.   le souci de perdre la face et d’image / admettre son erreur
4.   le désir élevé de justifier son choix initial

Complément : L'article de référence est celui de Staw ("Knee-Deep in the Big Muddy: A Study of Escalating Commitment to a Chosen Course of Action", accessible sur Googlescholar) en 1976, qui a mis en lumière ce phénomène en étudiant les comportements de 240 étudiants en écoles de commerce, lors de jeux de rôles à partir d'une étude de cas dans lequel ils devaient faire des choix d'affectation d'un budget de recherche et développement. 
Il s'est avéré que dans le contexte de prises de décisions d'investissement, les personnes qui engageaient les montants les plus élevés dans une action préalablement choisie étaient celles qui étaient personnellement responsables des conséquences négatives.

* D'après le célèbre philosophe René Goscinny, dans la bouche des romains (Le Tour de Gaule d'Astérix, 1965).